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Souvenirs d'un Sous-Préfet de Mauriac

Essai

Un coup de foudre

                                         

                                                               
La beauté du Cantal et le charme de Mauriac                                 

Pourquoi en septembre 1970  solliciter après la direction de cabinet du Préfet de la Corrèze la Sous-préfecture de Mauriac, dans le Cantal voisin, admirée lors de promenades dominicales ? Sans doute une intuition, une envie subite et irréfléchie d’indépendance, un appel ? Quoiqu’il en soit, l’affectation était prononcée  en décembre.
D’emblée, coup de foudre, dont je ne me suis jamais départi. Des paysages d’une beauté qui coupe le souffle, par exemple en montagne à 1000 mètres, prés du Puy Mary.  Des villages préservés  insérés dans un écrin naturel majestueux. Châteaux et églises romanes abondent, toujours bâtis avec goût. Les Monts du Cantal offrent au visiteur, l’un des plus beaux sites de France. On ne se lasse pas de contempler les vallées rayonnantes issues du volcan Cantal, taillées par les glaciers. Le cirque du Falgoux, sidère toujours, d’où qu’on le regarde. Le voir grandir en venant de la vallée du Mars est inoubliable. Un des plus beaux sites de France. Et j’ai chaque fois été ému en arrivant à Salers, la perle du Cantal, cité judiciaire incroyablement préservée des atteintes du temps depuis la Renaissance, avec ses maisons de nobles et de bourgeois avocats, procureurs et magistrats. Rien n’égale la vue des remparts sur la vallée de St Paul. Au fond le délicat puy Violent tout herbagé. Dans la campagne, maisons et burons de tradition abondent, souvent recouverts de lauzes avec de belles ouvertures soignées et chose sublime, deux rangs de chiens assis pour les grandes demeures. De purs chefs d’œuvre groupés en villages ou isolés.

La nature est superbe. C’est le travail du paysan, acteur infatigable et merveilleux du paysage, qui construit la beauté des sites. Sans ses immenses pâtures entre les bois, avec les contrastes de couleur, les séparations nettes entre les parcelles, le Cantal perd son attrait. Tout est entretenu, soigné. Dans le Cantal plus qu’ailleurs, l’observateur prend conscience que les paysages sont artificiels, modelés par l’homme et qu’ils sont beaux parce qu’on n’a pas laissé faire la nature. La nature est sacrée mais elle peut être désordre, taillis touffus généralisé et amas d’arbres morts. Le relief montagneux grandiose, sans cesse différend et tourmenté par le volcanisme, bouleversé par l’action des glaciers et la puissance de l’érosion, eau et vent, est unique en France. Les pics de roche dure, abondent et donnent un spectacle de chaos sur le pourtour du volcan écrêté par la pluie et le vent, incessants ici. Par moment la nature ressemble à un décor de théâtre, tant elle est curieusement irréelle. Elle est œuvre d’art. L’hiver, l’alliance du ciel, d’un bleu soutenu et des champs enneigés en altitude, procure une douce ivresse. Au loin, des montagnes  blanches se découpent dans l’azur et vous appellent à les rejoindre. Hic et nunc. L’air est sec, tonique, pur. Quelle différence avec Paris où le ciel est toujours grisâtre et l’odeur d’essence permanente.

 Le Cantal, c’est l’Arcadie de Virgile : « Heureux qui a pu connaître les principes premiers des choses. Heureux qui a foulé aux pieds toutes les craintes et l’inexorable destin… et bienheureux l’homme qui révère les dieux des champs ». Comment ne pas penser aussi dans les monts du Cantal au tableau de Poussin, les bergers d’Arcadie et à son inscription mystérieuse « Et in Arcadia Ego ». La nature nous parle. Poésie de la terre disait Renan. Dans chaque habitant, un berger philosophe. Ce pays a une âme. Il a su garder ses traditions et son style de vie. La société dite moderne n’y a pas déversé sa vulgarité et son mal vivre. Les gens sont heureux. Grâce au maintien de la famille, cet ultime rempart des civilisations, matrice des sociétés, les usages anciens y ont encore cours ainsi que les règles de la société française. Le monde ancien, ici seulement, n’est pas mort !

A Mauriac, j’ai été pris sous le charme. La place de l’église et de l’hôtel de ville, m’a envoûtée. La rangée de maisons anciennes du fond est digne d’une ville d’art. Les rues qui en partent à droite, rue Marmontel puis Bd Montyon  et à gauche vers le Collège et la Sous-Préfecture, ont de belles façades du 18ème  et  un charme particulier. L’hôtel de ville avec ses pierres sombres issues de l’ancienne église Saint-Pierre du monastère rasée après 1820, possède un caractère austère et élégant avec ses arcades, les encadrements de fenêtres et sa toiture agrémentée.

le Collège des jésuites

Il y a aussi, pour amplifier le coup de foudre, cette géographie de Mauriac, en bout de planèze volcanique, sur un rebord abrupt, ce qui explique que toute la ville soit bâtie sur une forte pente. De la Roussilhe ou de Saint-Jean, on voit clairement comme les terrasses successives forment un bel amphithéâtre, qui se resserre comme un entonnoir autour du ruisseau Saint-Jean et regarde en direction de Brive puis  de la mer. La Basilique, la mairie, la sous-préfecture, le lycée,  occupent l’emplacement privilégié des amphithéâtres grecs pour le spectacle : l’orchestre, au pied de la scène. C’est là que s’agitent les acteurs. En tout, prés de 100 mètres de dénivelé pour la partie urbanisée et  350  du point haut au point le plus bas de la commune. Un territoire bâti autour de 7 collines, dont une saillie volcanique au Puy St Mary, le mont sacré de la commune surmonté d’une chapelle, colline des grands pèlerinages à St Mary et des foires aux chevaux. Sous cette chapelle, une autre plus ancienne et sous celle-ci ? Probablement un temple gallo-romain comme  souvent. Sur cette colline inspirée, pour reprendre la belle expression de Maurice Barrès ce vosgien  originaire du Cantal, règne l’esprit.

La cité dégage une impression d’austérité. L’hiver est silencieux, beau et long. La neige tombe en abondance jusqu’à un mètre à Salers. Le ciel est toujours  bleu d’azur. L’été, brusquement, après un court printemps, tout s’anime et se colore. S’il vient la pluie, elle dure peu. On voit alors que le Mauriacois est homme du midi, car Mauriac est à la latitude de Grenoble et de Venise. On parlait encore occitan en 1970, avec un accent proche de l’accent de Tulle. Le folklore a été préservé par un remarquable groupe local mené par un leader inspiré, aidé de son épouse, deux instituteurs engagés dans la République tels les hussards noirs de Charles Péguy.

La basilique romane

Mais c’est la basilique Nôtre Dame des Miracles, qui m’a de suite impressionnée. Elle révèle la grandeur de Mauriac au 12ème Siècle. St Flour n’était pas encore évêché et Aurillac une petite ville autour d’une abbaye. Un pape, Calixte II, a visité le 24 Mai 1119 le chantier incroyable d’un monastère neuf et de trois églises sur la même place : Notre-dame des Miracles,  St Pierre de Mauriac et la chapelle Saint Benoît. Le seul Pape venu à Mauriac. Les pierres de grande taille  qui composent la basilique sont colorées. Le rajout d’une flèche au clocher en 1385, de portes d’apparat Renaissance en 1582 et de deux tours au 17è Siècle l’a embellie et agrandie comme une petite cathédrale, avec un goût parfait, la mettant hors des proportions de la vieille ville. Elle apparaît digne de son statut de Basilique, unique Basilique du Cantal, instituée par le Vatican le 20 octobre 1821.

A l’intérieur, le visiteur est pris par le contraste entre la qualité exceptionnelle de l’architecture et l’obscurité typiquement romane, recherchée dès l’origine. Assis, on éprouve l’envie de se recueillir et de prier, de réfléchir à sa vie. Quelle différence avec les autres églises ! Elles n’ont pas ce mystère, qui vous saisit à Mauriac. Nulle part, on n’éprouve une telle impression de gravité et d’arrêt du temps. Les souvenirs de jeunesse réapparaissent : la communion, le confessionnal et sa pénitence à genoux sur un prie-dieu, la messe en latin. Le monde ancien. En nous, l’enfant demeure. Tout est enregistré y compris les odeurs et les sons. Un déclic et tout ressurgit.  Les yeux habitués à l’obscurité, dans le silence, la beauté du lieu et des ornements, le mélange de l’austérité du roman et de la recherche d’effet propre au baroque, vous transforment.

Le sentiment d’éternité ressenti dans la basilique ne vous quitte jamais. Le temps suspend son vol. Nôtre Dame des Miracles, lieu de grands pèlerinages à la Vierge, bâtie sur le site de la chapelle fondée au 6ème S. selon la légende par Théodechilde fille ou petite fille de Clovis, est un temple habité par la plus haute spiritualité. Si on croit, la présence divine s’impose. Sinon, pour les autres, la magie des lieux opère. La Vierge noire sculptée du 15ème siècle, venue du fond des âges, déesse de la terre, au visage impassible et sévère, noire comme la vierge peinte de Czestochowa chère au pape Jean-Paul II, contemple les siècles avec sérénité. Le mobilier, installé dans un 18ème inspiré et faste,  dresse un décor superbe, qu’il s’agisse du retable classique de marbre et de bronze avec ses quatre colonnes corinthiennes, de l’époque baroque et d’inspiration antique, d’une grande qualité artistique, des retables latéraux très ornementés avec des colonnes torsadées inspirées du Bernin à Rome, des stalles ou de la chaire admirablement travaillée et baroque également, avec sa grâce et sa préciosité. L’ensemble est proche de la perfection. Les sculptures du haut de la chaire sont dignes du baroque le plus échevelé, comme à Prague, par exemple. Au sommet, un ange joue de la trompette , comme s’il annonçait déjà le jugement dernier. Dressé  sur un globe, il reprend le thème et la figuration  du génie grec ailé  de la renommée. La Grèce ancienne est très présente dans l’église. Les colonnes de la nef ne sont-elles pas aussi imitées des basiliques romaines et reprises de l’art grec. Le baroque était une mise en scène théâtrale voulue par la papauté, orchestrée par l’ordre des Jésuites, dans le cadre de la contre-offensive menée contre le protestantisme. Conçu pour impressionner et séduire, il émerveille. Plus classique, la rare cuve baptismale romane, les tableaux du 17ème, la  remarquable vierge sculptée à l’oiseau du 16ème  flamand, le  grand lutrin à l’aigle terrible, du 18ème.

A l’extérieur, un autre monde, médiéval cette fois. Le chevet porte d’étranges sculptures coquines, d'inspiration celte, admises au 12ème à l’évidence comme une dénonciation des vices humains, qui sont le sort de l’homme depuis la chute  dans le péché. L’Enfer est là, dehors. Le portail, languedocien d’inspiration byzantine et d’une rare finesse en Auvergne, unique dans le Cantal, comprend un zodiaque, inattendu dans un tel lieu. Le maître d’œuvre a repris des croyances païennes. Or, nous savons, depuis peu, que cette mystérieuse religion des Celtes, non écrite, avec son clergé tout puissant et hiérarchisé, était un culte des astres, fréquent dans les civilisations indo- européennes, plus qu’un culte des arbres, des éminences et des sources, pourtant très présent.  Les druides, maîtres du temps, pratiquaient la science de l’astrologie, comme en Orient, et regardaient le ciel. Le christianisme est lui aussi un syncrétisme enrichissant.

2000 ans d'histoire

L’emplacement de Mauriac n’a pas été sélectionné au hasard. Il y a plus de  2000 ans, au pied des montagnes, le long de l’axe historique de pénétration du Cantal depuis Clermont jusqu’à Aurillac, par l’ouest, des hommes ont choisi pour l’ habiter ce lieu où  jaillissaient des sources abondantes et bruissaient des torrents. C’est la présence permanente de l’eau qui a donné à la bourgade son nom. En celte, l’eau est mor (le Morbihan, l’Armor), qui deviendra mori, entraînant  mer, mare, marécage. Puis, après la conquête romaine, qui fera la fortune de la cité, Mauriat sera Mauriac et son ruisseau, le rieu Mauri sera encore mentionné sous ce nom en 1882 avant d’être rebaptisé ruisseau St Jean. Les vestiges gallo-romains répertoriés par Delalo au tout début du 19ème sont nombreux et étendus et prouvent l’existence d’une petite ville au 1er Siècle.

Plusieurs monnaies d’or mérovingiennes du milieu du 7èmè Siècle portent la mention « Mauriaco Vic ». Mauriac porte donc son nom bien avant l’incursion des Maures dits Sarrasins en 730 par l’ouest.  C’est le vicus (bourg) de Mauriac. Cette monnaie d’or (triens), en trois exemplaires, bien datée par les spécialistes, est aussi une preuve de l’ancienneté du monastère. C’est probablement lui qui battait monnaie, dès le 7ème  Siècle, son doyen ayant rang d’évêque et juridiction civile sur la ville et le nord Cantal. De toute manière, Mauriac ne peut devoir son nom aux Maures puisqu’on sait que les Sarrasins ne sont pas passés par Mauriac, pour rejoindre Poitiers en direction de  Saint Martin de Tours mais par Bordeaux. Leur présence en Auvergne est donc hypothétique sauf par immigration ultérieure notamment à l’occasion des expulsions massives de la reconquista espagnole  ou à la demande des moines qui accueillaient fréquemment précisent les historiens de petites colonies de maures venus d’Espagne et ayant le statut d'esclaves, pour cultiver leurs terres.

Personne dans les années 1970  ne parle du monastère bénédictin Saint Pierre, peu connu  y compris semble t-il des Monuments Historiques. Même pas classé ni inscrit même partiellement avant 1985. Il est pourtant bien visible sur trois côtés. La ville, ancien chef de  prévôté, dirigée par ses consuls depuis 1554, siège d’une Election, ignore son passé. Impossible de savoir où officiait, avec ses bureaux, le subdélégué de l’Intendant d’Auvergne à Mauriac, ancêtre depuis 1707 du Sous-Préfet,  ni ce dernier jusqu’à 1829. Il n'y a pas d'ouvrage uniquement consacré à l'histoire de Mauriac.

Un premier regard sur   cette histoire  montre des moments de violence inattendus pour une petite ville aussi calme. Les protestants, que je croyais pacifiques et pures victimes  de l’histoire, détruisent et tuent dans le Cantal lors des guerres de religion, de leur propre mouvement mais il est vrai en réaction contre des persécutions terribles en d’autres lieux. Ils saccagent et profanent les églises, y compris l’autel. Autre surprise dans le Cantal catholique, les seigneurs de la région de Mauriac sont parfois au 16ème Siècle des protestants militants, comme à Miremont par exemple.

Un prêtre a été guillotiné à la Révolution, derrière l’église, simplement parce qu’il avait fui en refusant de prêter le serment au nouveau régime. Les clochers ont été abattus sur instruction nationale répercutée par l’agent national du district Dominique Mirande, des châteaux brûlés, des nobles emprisonnés conformément aux ordres de la Convention. Une violence incroyable, ici à Mauriac, paisible bourgade de 2500 habitants en 1792. La population ne suit pas. Elle est de plus en plus hostile à la Révolution. « Elle veut des messes » écrit Mirande, très désabusé. L’élite est révolutionnaire et encore, mais pas le peuple. Le contraire de ce à quoi on s’attendait ! Thermidor puis l’Empire sont accueillis avec soulagement après ce moment de folie nationale qu’a été la Convention. L’histoire locale contredit souvent l’histoire nationale et  met en doute son authenticité. La révélaton c'est que les troubles n'ont pas été que parisiens. A noter que le sanguinaire conventionnel Carrier, l'homme des noyades en bâteau de Nantes,  était d'Aurillac, employé du père de Mme d'Orcet, qu'il protègera après 1792, dans la période noire.

Mais il y a aussi de grandes périodes de prospérité à Mauriac. Le 12ème Siècle bien sûr, apogée de la cité, qui voit construire en même temps trois églises et un monastère, un défi incroyable. Signe de l’essor de Mauriac aussi, le merveilleux 18ème  qui voit rebâtir le Collège avec un portail classique et une chapelle baroque étonnante pour le Cantal et agrandir le monastère cependant que la communauté  installe un mobilier luxueux dans l’église paroissiale et que M. d’Orcet édifie à partir d’une vieille tour ce bijou qu’est l’Hôtel qui porte son nom. L’intendant Montyon construit sur les fossés un grand Bd extérieur. Montyon à qui les édiles rendront hommage en donnant son nom à l’avenue et en édifiant une fontaine en forme d’obélisque comportant une dédicace de Marmontel au grand intendant d’Auvergne, bienfaiteur de la cité.

Pour l’esprit, le 18e appelle le souvenir du salon des lumières de  la divine Mme d’Orcet et de l’œuvre extraordinaire de formation des Jésuites du Collège et des talents qu’il a révélés : Marmontel, la famille Chappe, les Delalo le grand- père Maire, son fils  1er Sous-préfet de Mauriac de  l’an VIII et son petit fils deux fois Maire, Procureur puis enfin Président du tribunal Civil de Mauriac. Le  meilleur historien de sa ville. Il faut se représenter alors Mauriac au début du 18e  à la fois ville des lumières et centre de la foi catholique, avec ses deux grands pèlerinages régionaux à la Vierge et à St Mary et ses 60 religieux, 30 au monastère au début du siècle et plus de 30 dans cette institution curieuse des prêtre-filleuls, prêtres sans fonction attachés à la paroisse.

 Le Collège des Jésuites       

En face de l’hôtel d'Orcet,  autre bijou le lycée, ancien Collège de Jésuites, l’un des premiers en France, créé en 1563 avec l’accord des consuls de la ville, par testament de l’Evêque de Clermont, fils d’un riche Chancelier de France, Guillaume Duprat. Le bâtiment a été repris et étendu au 18ème Siècle, avec un rare bonheur, au moment même où l’ordre, trop puissant et rattaché directement à Rome, était dissous pour ces deux raisons par Choiseul, à la demande des Parlements et de l’élite très anticléricale et franc-maçonne d’avant la Révolution.

Marmontel, enfant pauvre de Bort-les-Orgues, originaire du Nord Cantal par son père, y a fait de bonnes études, qui ont conduit cet encyclopédiste à l’Académie, dont il a été Secrétaire Perpétuel,  ainsi qu’aux  fonctions prestigieuses d’historiographe du roi et de directeur du Mercure de France. En réalité, c’est le théâtre et l’opéra qui le passionnaient. Les actrices et les chanteuses aussi. Comme toute l’élite, il est passionné par le merveilleux opéra napolitain, seul opéra écouté dans la deuxième partie du 18ème siècle. Au nom des encyclopédistes, il appelle en France  le grand Piccinni pour l’opposer à Gluck l’allemand, protégé de Marie-Antoinette. Il écrit des livrets. Ses mémoires sont une mine de renseignements sur l’époque et sur son ascension. En fait, les jésuites, succédant aux bénédictins grands maîtres du savoir au moyen âge, dispensaient jusqu’à la classe de rhétorique puis de philosophie, à des enfants de paysans sans ressources, sélectionnés pour leur aptitude à l’étude, une éducation hors pair. Un grand nombre a fait carrière hors et parfois contre l’église. Fils d’un tailleur rural, Marmontel, sans aucune protection ni ressources est devenu l’un des personnages les plus influents de France. Bien plus qu’un comte ou un duc. Les encyclopédistes étaient avec les artistes, les vrais rois de l’Europe. Tocqueville écrit que les hommes de lettres devinrent au 18ème siècle, les principaux hommes politiques du pays et de cette politique littéraire, de ce gouvernement des philosophes,  il est résulté  la Révolution déjà en place, préfigurée.

Autre élève, mauriacois pur celui là, Jean Chappe d’Auteroche, astronome, membre de l’Académie des sciences, parti observer en 1661 Vénus en Sibérie et connu de notre époque par un  curieux ouvrage pour un astronome, écrit en 1668, après son retour. Il y dresse un tableau épouvantable de l’état social de la Russie. Un pays barbare, arriéré, inculte, encore au pire moyen âge ! Colère de Catherine II, adepte des lumières, encensée par Voltaire et Diderot, qui avait cru donner le change en Europe. Chappe évoque le servage. Véritable tyran en réalité, on disait alors avec admiration despote éclairé, l’impératrice, grande souveraine, passionnée d’art et de littérature, très cultivée, et mécène habile par surcroît, offrait fréquemment comme cadeau des esclaves, à titre de main d’oeuvre gratuite. Il était habituel de recevoir 1000 ou 2000 serfs en récompense d’un service. Folle de rage qu’on ose critiquer sa Russie, Catherine rédige en 1770,  de sa main principalement et en Français choisi, « l’Antidote ou examen du mauvais livre intitulé Voyage en Sibérie fait sur ordre du roi ». Un ouvrage vient de reprendre en 2003, le récit et la réponse impériale, avec une préface d’Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel de l’Académie Française. Voilà l’abbé Chappe célèbre, moins toutefois que ses deux neveux, les frères Chappe, également originaires de Mauriac, nés après expatriation de leur père dans la Sarthe actuelle, qui inventeront le télégraphe sous la révolution  et  cacheront leur particule, assumant à tour de role la direction de la poste.

Célèbre aussi le Cardinal Jules Saliège, archevêque de Toulouse, chrétien social du Sillon, seul évêque à dénoncer avec vigueur par sa célèbre lettre du 23 août 1942, lue en chaire solennellement  dans tout le diocèse, la déportation des juifs sous l’occupation (Tout n’est pas permis.., ils sont nos frères…). Pierre Queuille, pivot de la IVème République   radicale, plusieurs fois Président du Conseil, médecin né en Corrèze, est originaire de Mauriac, ville du compromis et de la prudence. On ne dit jamais ni oui ni non à Mauriac.

La sous-préfecture de Mauriac

D’entrée, la sous-préfecture ne déçoit pas. L’ancien Hôtel d’ Orcet est un bijou architectural attachant, avec un salon 18ème comportant deux superbes et grandes tapisseries d’Aubusson, d’époque, sur des cartons d’Oudry, représentant des jeux galants. Il s’agit de la main chaude et du cheval fondu. On voit une femme qui a devant elle un personnage à genoux, un jeune homme, qui se cache la tête dans son giron. Il  tient la main ouverte dans son dos et s’apprête à recevoir des coups dans cette main jusqu’à ce qu’il devine qui le frappe. Il aura alors la main chaude. Autour, dans un jardin, d’autres personnages bien mis, participent au jeu. Ils incitent par gestes une dame à taper la main. Regardant tous les jours, pendant 3 ans et demi, cette tapisserie très colorée, j’ai toujours eu envie d’y entrer et de jouer aussi. Quand au jeu du cheval fondu, il consistait à sauter sur le dos de joueurs courbés à cet effet. On ne sait rien de plus.

L’Hôtel d’Orcet est un lieu hanté par le souvenir d’une femme remarquable, qui a tenu  un salon renommé, fréquenté par l’élite locale férue de changement, de sciences et de nature. Cette élite qui avec la noblesse déclenchera la Révolution ; Révolution déjà accomplie dans les esprits depuis longtemps pour Tocqueville. Madame Jeanne Marie de Vigier d’Orcet, née Delsol, fille de Procureur, était la   jolie veuve, depuis 1774, de Gabriel-Barthélémy de Vigier d’Orcet, Receveur des Tailles, promu Secrétaire du Roi,  brillant fils et petit fils de Subdélégué d’Intendant à Mauriac. Elle occupait cette belle demeure, que son mari lui avait léguée, faute d’enfant. Riche veuve, libertine et femme intelligente, très influente dans ce siècle des femmes, aimant les animaux dont elle est entourée en permanence, suivie d’une biche, elle s’éprend à plus de 70 ans d’un jeune officier cultivé du service de remonte, de 37 ans, venu de Grenoble, qu’elle épouse en 1813, Pierre Joseph Grasset. Son portrait est en Mairie et met en valeur le beau visage plein de  finesse d’un homme élégant et distingué.
Pierre Grasset sera Maire  de Mauriac de 1811, âgé de 37 ans, jusqu’à 1826 et de 1831 à la Révolution de 1848 et décédera en 1849. En 1829, veuf depuis 1823 et remarié, il vend au Département la résidence héritée de sa femme, qui deviendra la Sous-préfecture. Il sera occasionnellement  Sous-préfet quelques mois, à titre provisoire spécifie le texte en préfecture, aux Cent Jours, en 1815, accueillant à Mauriac le Maréchal Ney en fuite à travers le Cantal.  C’est lui qui ordonnera en 1819, l’édification de l’Hôtel de Ville et malheureusement fera raser les ruines de la grande église du monastère St Pierre,  meurtrie par la Révolution. Celle-ci a été plutôt agitée à Mauriac, sans doute par réaction contre le caractère religieux de la cité, partagée déjà en deux camps. Cette 2ème église occupait le tiers de la place, à 25 mètres de la basilique, qu’elle dominait de sa longueur et de sa haute flèche étonnante de 56 mètres. Le projet de créer une grande place centrale à la place de ruines a dû paraître extraordinaire en son temps et porteur de progrès.     

La sagesse des Mauriacois

Comme en Corrèze je suis surpris de l’extrême gentillesse des habitants, bien plus fins et plus policés qu’à Paris, sans parler de certaines banlieues. La montagne, l’éloignement et les longs hivers, ont produit des cantaliens réfléchis, astucieux, informés, travailleurs et adroits, sachant tout faire,  qui vivent bien avec très peu. Ils communient dans un amour profond de la nature, peut-être leur vraie religion. La chasse et la pêche sont les passions locales. Je remarque qu’il y a beaucoup de jolies filles, notamment des brunes, du même type Ibère ou Ligure que dans l’Allier et le Puy-de-Dôme. Il ne faut jamais oublier, pour comprendre l’Auvergne, qu’elle a appartenu à la grande province d’Aquitaine durant plus de mille ans, de l’époque romaine, puis wisigothe, franque, carolingienne avec un roi d’Aquitaine fils de Charlemagne, jusqu’à l’occupation anglaise. Celle-ci a laissé beaucoup de traces au moyen âge, notamment dans la population, avec de grands blonds et même des roux. Mais les bruns trapus et solides des Pyrénées dominent. De formidables travailleurs. Une race montagnarde d'hommes tenaces: tête ronde, épaules carrées et des mains énormes, habituées au dur  travail agricole.

L’Espagne a toujours été très proche du Cantal. Les Cantaliens dès lla fin du Moyen Age y allaient l’hiver pour rechercher un revenu de complément puis à temps plein. Il est probable que s’est produit un mouvement d’émigration inverse, après 1492 notamment, qui explique le Maure en tête, comme en Corse, puis en pied récemment, qui figure sur les armes de la Ville. Un Maure mystérieux dont l’origine n’est pas forcément africaine puisqu’on trouve un chef très noir sur les armoiries de l’évêque de Munich, appelé tête de Turc, souvenir des Wisigoths, des croisades ou des attaques ottomanes contre Vienne. A partir du 19ème, les Mauriacois préfèrent Paris en plein développement. D’autres cantaliens sillonnent la France pour vendre de la toile et du drap comme négociants voyageurs. Les bons élèves peuplent les administrations, excellents fonctionnaires.

Pour le comportement, la prudence  est la règle dans les rapports humains. Chacun cache ses moyens, car susciter l’envie ne pardonne pas. Pas d’orgueil ni de parade. Peu de grosses voitures et pas de vêtements coûteux. Jamais chez les gens fortunés. Il y en a peu il est vrai sauf chez quelques auvergnats de Paris. Et pourtant j’entends souvent dire  « le Cantal est pauvre, les cantaliens sont riches ».  On ne dit jamais non à personne, pour ne pas blesser. Un silence est presque un  non, en réponse à une proposition. Il ne faut plus y revenir. On ne dit pas davantage oui, car le contexte peut changer. J’ai beaucoup appris. Il faut écouter, y compris les silences et savoir anticiper. Personne ne crie car cela ne sert à rien et porte tort. Quelle sagesse.

L’entraide familiale très forte évite la pauvreté. Il est vrai qu’on y vit avec peu car l’Auvergnat a fait sien le précepte fondateur du Bouddhisme, qui enseigne que la maitrise des  besoins et des désirs est la condition du bonheur et le secret de la vie. Beaucoup de cantaliens se satisfont de ce qu’ils ont, ne se plaignent jamais et préfèrent vivre au pays que gagner plus ou avancer dans la fonction publique, ailleurs. Partis, ils reviennent. Les Mauriacois adorent leur ville, de la manière dont Péguy aimait la cathédrale de Chartres, charnellement,  « depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix ».

La religion a une grande place dans la vie des cantaliens, au moins formellement. Des anti-cléricaux font baptiser, communier leurs enfants et célébrer mariages et enterrements à l’église. Les communistes ruraux cantaliens ne manquent pas la grande procession de Notre-Dame et leurs enfants fréquentent parfois l’école privée. Ils  aiment l’efficacité et animent avec dévouement de nombreuses associations, alors que les militants socialistes s’engagent peu, sauf dans les municipalités. Beaucoup de pratiquants votent à gauche et déjà le clergé n’est plus tout à droite. Clergé qui se signale déjà par la liberté de comportement de ses membres et la modestie de son revenu malgré un dévouement total. Ce clergé rural si humble, si désarmé, ne justifie plus  l’anticléricalisme qui règne encore en France. Inexplicable autrement que par l’importance considérable de l’histoire dans notre pays.

Les gens sont très informés de tout. Un bruit circule en 2 heures dans toute la ville. Les cantaliens lisent de prés et entièrement les pages locales de la Montagne  et observent inconsciemment  les mouvements, les voitures, les relations des gens entre eux, les changements de comportement. Par recoupement et déduction, ce qui m’a toujours stupéfié, ils devinent la réalité, même cachée, des choses et des gens. chacun connait tout le monde en détail. Leur jugement est solide, profond, toujours étayé. Impressionnant ! Ils connaissent parfaitement la valeur des gens en reprenant les filiations. On dira de Mme x qu’elle est une fille untel. Ah alors tout s’éclaire ! pas la peine d'en dire plus, chacun connait toutes les souches familiales. Difficile  de tromper son conjoint localement. il y aura toujours quelqu'un qui dira qu'on a vu sa voiture derrière la maison de Jeanne ou de  Pierre. 

La société est très égalitaire dans les comportements. Le prestige va aux  professions libérales qui ont le meilleur revenu et les diplômes. Le médecin particulièrement est le roi des cantons ruraux. Rien de plus aisé que son élection comme maire et conseiller général. Les fonctionnaires sont traités avec le respect d’autrefois mais enviés. Il y a beaucoup de jalousies en milieu rural. Les jeunes actifs quittent la région  car il n’y a que peu d’industries et de services et guère de possibilités d’avancer ou de prospérer. Ils ne reviennent plus au pays comme autrefois dans la maison familiale, souvent abandonnée.

Mon secrétaire en chef, Abbadie, me propose d'apprendre à jouer au tennis et au bridge avec une petite équipe comprenant Michel Vernier, assureur, leader attachant du groupe, Président du club de Tennis, le Dr Durand, chirurgien à l'hopital, le Dr Cros de Salers, Jean Fabre, chirurgien-dentiste, Charles Cros, commerçant,  Neyrat, proviseur du lycée et mon collaborateur Abbadie. Je me suis joint à cet état major du Rotary local, souvent plaisanté par Chauvet et ai même perfectionné mon mauvais ski avec Vernier, Fabre et Strassen, l'inspecteur des impots, surnommé dans Mauriac "la vache qui rit" car il était toujours souriant.

Le métier préfectoral

L’accueil fait au Sous Préfet est plus que chaleureux. Il doit aller partout y compris dans les gros villages car, dans le Cantal, c’est le village qui compte plus que la commune. Il est fréquent que les villages soient plus importants que le bourg chef-lieu. Ce qu’attendent les élus, c’est que le Sous-Préfet soit sur place, au contact, ce que prescrivent les instructions, dès l’an VIII.  Les maires veulent de l’aide rapide et cette  reconnaissance officielle qu’apporte la visite préfectorale, surtout avec presse. La visite du Sous-préfet c’est la fête dans la commune. Parfois le Maire a rassemblé la population sur la place et il a en poche un grand discours écrit auquel il faut répondre. Trop d'humour est déconseillé en Auvergne pays qui attend tout des représentants de l'Etat. Dans le Cantal, l’opinion  veut des résultats concrets et pas des exercices d'éloquence. J’ai retenu cette expression locale, péjorative, applicable notamment aux fonctionnaires peu estimés : «grand diseur, petit faiseur ». 

Visiter les 61 communes de l’arrondissement a été une joie sans cesse renouvelée et un excellent investissement à tous égards. On apprend vite à improviser. Travail et plaisir se confondaient. A cette époque, il était quasiment obligatoire d’assister à tous les comices des 6 cantons, avec repas, ainsi qu’à tous les banquets de sapeurs-pompiers, en plus des multiples inaugurations. Les repas comportent 5 ou 6 plats. La viande de Salers a beaucoup de goût et le fromage du même nom délicieux, surtout prés de la croûte, en particulier le cantal fort fabriqué dans les fermes.  Il n’y avait que peu de dimanches libres. Je plaide coupable. J’ai gâché le métier en allant partout comme dans un jeu. Cela ne se fait plus du tout. J’aimais particulièrement les comices de la race Salers, la vache rouge à la belle allure noble. Le jury parcourrait les allées pour classer les bêtes nettoyées et brossées, selon des critères de bonne conformation. En tête, les formes régulières, quasi géométriques. Le palmarès était parfois contesté. Le canton assistait en entier à la proclamation. Un rituel sacré, presque une messe, dans un département voué à l’élevage depuis plus de 2000 ans. Après la proclamation, le long repas officiel et ses nombreux discours au dessert. Certains cantons  avaient deux comices. 

J’ai adoré mes fonctions et crois avoir été utile. Plus de 30 ans après, je me reproche d’avoir manqué de recul, m’identifiant trop personnellement à ma fonction et à la cause du Cantal, en oubliant que le métier de Sous-préfet n’a pas prévu autant d’autonomie, ni de se transformer en super Conseiller Général, animateur en chef, chef d’une principauté. Je l’ai compris plus tard. Mais l’aveuglement n’est-il pas une condition du bonheur et de la réussite ?

En fait, il y a de nombreuses manières d’être Sous-préfet : administratif, conseiller, organisateur, prestataire pour les communes, coordonnateur interministériel, culturel, économique, social, développeur, animateur, etc. Il n’y a dans cette fonction ni règles, ni directives, ni passage de consignes. La liberté, qui découle de la marge d’action considérable des Préfets, qui est inimaginable dans un pays que l’on décrit obstinément comme ultra jacobin, est bien plus grande qu’on ne le croît. Il faut réussir et rendre compte. Réussissez, improvisez et ne faites pas d’incident, en soutenant le gouvernement , est le véritable mot d’ordre du ministère qui ne demande rien et prescrit peu

Personne ne demande en particulier à un Préfet ou à un Sous-préfet de faire de la politique. Pour un Sous- Préfet, il convient de ne pas oublier que le Préfet note ses collaborateurs, souvent d’une manière affective, et que, secret d’Etat, au ministère le corps gère le corps pour l’essentiel. Le ministère n’aime pas les fonctionnaires qui font trop de  politique ni les ego hypertrophiés et déteste les interventions de parlementaires, qui ont souvent un effet inverse du but recherché. Il y a évidemment d’autres moyens de se faire remarquer à Paris. Avoir un Préfet en cour qui vous estime et accède à l’un des 3 ou 4 postes clés de la place Beauvau est préférable à tout, y compris aux cabinets ministériels.  L’excès de politisation de la fonction porte souvent tort dans les carrières. Il faut savoir faire et faire savoir selon la formule et toujours respecter les usages républicains et les procédures. Un autre secret, apprendre à formaliser son action et l’habiller d’un manteau irréprochable, dans des commissions par exemple. On peut changer la règle mais il y a toujours des principes : respecter les fonctions et la légalité, rechercher le consensus et savoir écouter avec courtoisie et respect. Quel corps d’administration de l’Etat offre autant de liberté et de possibilité de s’épanouir à ses membres que le corps préfectoral ?

Le poids des Préfets en 1970 est  capital. Appuyés sur de remarquables fonctionnaires des préfectures et des services de l’Etat, ils arbitrent, avec le Président du Conseil Général, le Sénateur, diplomate habile et subtil, Jean Mézard, les conflits et aident à dégager des priorités toujours disputées. Jacques  Corbon, ancien du cabinet de Georges Pompidou, nommé Préfet à 37 ans, charme et tranche, attaché à convaincre. Rien ne lui résiste. Il a ses réseaux à Paris, ce qui est essentiel pour le Département, qui ne l’oubliera pas, tout comme son prédecesseur le sévère Pierre Paraf qui a impressionné les cantaliens, créant  avec audace la station de ski du Lioran. Laurent Clément apprend à ses jeunes collègues la sagesse des anciens, qui savaient que "beaucoup de problèmes compliqués se règlent tout seuls en patientant"  et que "on ne gagne pas toujours à être connu". Ou encore que pour être apprécié de ses interlocuteurs, il vaut mieux parfois ne pas trop connaître le sujet. En pratique, il est toujours judicieux de ne pas parler et d’apprendre tout de son interlocuteur. On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens disait Retz, ce maître des décideurs. Laurent Clément aimait rappeler le vieux précepte radical de la 3ème République : "la justice pour tout le monde, les faveurs pour les amis" que je connaissais déjà depuis mon passage au cabinet de l'Intérieur en 1965, tout comme le célèbre et subtil "mon prédecesseur  un incapable, mon successeur un ambitieux" à vocation générale et toujours en vigueur. En vertu du 1er principe, Raymond Marcellin en 1971 attribue la croix du mérite à son ancien Chef adjoint de Cabinet.

Le corps préfectoral, par sa compétence, ses contacts et son itinérance, apporte une contribution reconnue au développement des départements ruraux. Il amène les bonnes idées de l’extérieur en aidant à les adapter malgré les réticences locales. Ce sont des Préfets qui ont convaincu les cantaliens, parfois difficilement, que le tourisme ne remplace pas l’agriculture mais qu’il est en plus et que la culture, alors dénigrée, est un outil de développement et d’image. Chargé de l’opération châteaux en Auvergne pour le Cantal, je constate que cette action exemplaire de mise en valeur du patrimoine à des fins touristiques, porteuse d'une nouvelle image pour le Cantal,  est considérée comme un gadget. Elle ne sera pas reprise malgré son impact.  

La politique dont le corps préfectoral doit informer le gouvernement, dépend de principes simples. Chaque zone a sa couleur et la conserve à long terme. La bordure corrézienne est plus à gauche que les monts du Cantal, depuis la révolution. Les fils votent comme les pères. Il y a un vote familial. Un canton est de droite ou de gauche depuis 200 ans. Le changement vient de l’abstention et du charisme des acteurs. Les enseignants et les fonctionnaires  sont engagés en milieu rural. Le facteur religieux est important. Le maire de St Martin Valmeroux, le Dr Calsac, socialiste humaniste tolérant, m’explique qu’à St Martin, il existe depuis toujours le camp de l’église et le camp laïque. La bataille est acharnée et son résultat changeant. Pourtant dès l'élection passée, le calme revient et administrer la commune ne pose aucun problème. Beaucoup d'élus sont de bons stratèges et m'expliquent par exemple qu'une bonne liste doit comprendre un membre de chaque grande souche familiale de la commune. Certaines grandes familles à Mauriac comptent plus de 200 membres sur une population de 4000 habitants. En prenant sur sa liste un seul membre, le Maire gagne  les voix de la famille sauf quelques grognons et les jaloux.

Augustin Chauvet

Ma première visite d’élu fut pour Augustin Chauvet, Maire de Mauriac  et Député d’Aurillac, homme de 70 ans à la forte personnalité, connu pour son activité inlassable et ses dons de communication. Il est populaire dans tout le Cantal. Elu de Mauriac depuis 1965 après l’avoir été d’Anglards de Salers, il a multiplié immédiatement les réalisations, conseillé par un excellent ingénieur subdivisionnaire de l’Equipement, Forgereau. Avec son aide,  il définit, de son bureau , une nouvelle cité et développe considérablement l’accession sociale à la propriété, en pavillon HLM individuel grâce à une géniale coopérative départementale, le Foyer Cantalien, créée et présidée par lui. Il est  également président du Herd Book de la race de Salers. Plus de 300 familles modestes de Mauriac, ville de 4000 habitants, deviennent propriétaires d’un pavillon et d’un terrain.

Etrange paradoxe, cet homme de fer, classé à droite, en réalité radical de la IVeme, propriétaire d’un hebdomadaire tiré à 7000 exemplaires et bénéficiaire, le Réveil de Mauriac, est vénéré par la population qui approuve son action, incontestable, mais est critiqué par certains . Il en souffre mais rend la monnaie, dans une de ces campagnes permanentes  dont il a le secret. Astucieusement, il se dit en butte à une cabale  du Rotary, résurgence locale des 200 familles d’avant guerre, dont il fait un épouvantail rhétorique.  En fait, la moitié du Rotary est pour lui et l’autre moitié trop occupée par sa profession fait peu de politique, mais la méthode lui réussit. Elle faisait déjà fureur à Athènes et a un présent et un avenir considérable. Chauvet est un adepte de la théâtralisation, principe essentiel de la politique et de la communication.  Force de la nature, il rend de multiples services. Son système d’intervention est unique. Chaque lettre au Ministre est un modèle d’habileté politique, comportant la requête et un message implicite pour le demandeur, qui en reçoit une copie annotée personnalisée qu’il conserve précieusement car elle mentionne ses qualités, ses titres, sa place dans la société et ses liens privilégiés, affectifs, avec le Député. Génial ! Ce que la plupart des parlementaires confient à un assistant, Chauvet le dicte lui-même. Il y passe des heures. Il sait ce qui compte, l’attention aux personnes. Pour le Foyer Cantalien il parcourt le département, choisissant les terrains des futurs lotissements avec le maire, recevant les candidats à un lot ou à effectuer des travaux.

Sa carrière n’a pas été facile. Battu en 1951 et 1954, élu Député de 1956 à 1978, il ne la doit qu’à sa persévérance. C’est un homme hors du temps, au physique de taureau. Il porte un prénom antique, Augustin, et constamment il cite, dans leur langue, les auteurs latins qu’il affectionne et de vieux proverbes français, tirés de la sagesse populaire, comme celui-ci, qui est terrible : « Oignez vilain, il vous poindra, poignez vilain, il vous oindra  ». Du Nietzsche avant la lettre. La gentillesse paye peu. La force plaît. Hélas, ce proverbe du moyen âge est parfois juste, au-delà des vilains, les non-nobles ! Voué à la gentillesse permanente, je ne l’ai compris que bien  plus tard. Un maintien sévère impressionne. Il cite aussi Victor Hugo en latin : «  Ad Augusta per angusta » : vers les sommets, par des sentiers étroits. Une belle devise pour un homme politique, celle des conjurés d’Hernani. Il est craint mais cela n’empêche nullement les Mauriacois de critiquer ses grands projets. C’est la règle, tout est critiqué férocement, puis ensuite admiré. Chauvet s’en amuse en disant que pour lui, plus un projet est attaqué, plus il sait qu’il est bon. Il vaudrait mieux  ne pas trop en faire pour durer. Les Maires le savent. La prise de risque est mortelle. Voilà pourquoi on ne cherche pas toujours à faire venir des entreprises nouvelles dans le Cantal. Trop difficile. Mais Chauvet est tenace. Son courage fait des émules. Il a des résultats incontestés tout comme le Dr Julhes à St Flour, son grand ami. Il fait des envieux.

Certains prennent ombrage de sa réussite politique exceptionnelle, d'autant plus qu’il s’identifie à Mauriac. Or, le Cantal comme partout est l’objet de rivalités. Rivalités des hommes, mais aussi rivalités entre pays et communes. Géné, recevant les confidences de tous côtés et feignant de ne pas entendre, je constate dès mon arrivée que certaines petites villes n’aiment pas la ville sous-préfecture, quelles devraient appuyer au contraire. Mais à leur tour ces  cités sont mal aimées de leurs voisines de canton. Et partout ainsi. En fait, il y trois mondes différends dans l’arrondissement : au sud le pays de Mauriac avec Pleaux et Salers, au nord celui actif de Riom Es Montagnes et, paradoxe, le Pays corrézien de Bort les Orgues, qui rayonne sur l’Artense, Ydes, Saignes, Champs et Lanobre. Mauriac n’aime pas trop Saint-Flour et cette dernière lutte avec Aurillac, ville promue par la Révolution qui lui a ravi alors la primauté.

Le travail du Conseil Général n’en est pas facilité. En fait, il est obligé de répandre ses crédits car chaque élu influent  intervient pour son canton, compare et proteste  parfois. Impossible pour lui de faire autrement. C'est le jeu normal dans les assemblées. Les Préfets autoritaires d’avant la décentralisation avaient du bon à cet égard pour imposer l’intérêt général ! 

Le Député de St Flour Mauriac, ancien suppléant de Georges Pompidou, Pierre Raynal, grande figure morale du Cantal, gagne en influence. Chauvet l’estime. C’est un homme qui écoute, parle peu et dont la nature est modeste, ce qui est capital en politique où l’on déteste les orgueilleux. La fierté tue en politique.  Il tempère déjà les ardeurs  des élus redoutables de l’arrondissement de St Flour, qui ne reconnaissent pas Aurillac et négocient en forçant la voix, à la manière m'a t-il semblé typique du monde rural. Il jouit d’un respect unanime et sera plus tard un excellent Président du Département, dominant une assemblée où chacun estime avoir vocation à être parlementaire, comme s’il y avait un tour, à l’ancienneté, ce dont chacun est persuadé. Un cas particulier, Jean Cipière, seul élu communiste, qui a choisi l’humour. En commission ou en séance, s’il doit s’absenter, il dit autour de lui à mi-voix, comme en secret : « il faut que je rende compte à Moscou ; pour nous c’est la règle, comme vous savez ». Il est adoré et toujours réélu dans son canton de Maurs. Dans un département rural, le Conseil Général fait la loi et contrôle les choix de personnes. Le Conseiller Général est  incontournable en secteur rural. Beaucoup d'élus, admirables, sont de fortes personnalités et tiennent leur canton à bout de bras, défendant avec vigueur la difficile cause rurale et les valeurs cantaliennes.

Tel est le cas de mes six conseillers généraux: le Dr Jean Paul Cellier conseiller général de Champs, maire de Lanobre, médecin à Bort, un fin politique, conteur d'histoires, homme vivant et chaleureux, radical chiraquien; le Dr Georges Godenèche, maire de Riom es Montagnes, ville dynamique, élu de grande classe, RPR; Espinasse, exploitant dévoué à son canton, centriste; Pierre Charlanne, conseiller général de Mauriac, RPR, exploitant contesté, par Chauvet notamment, qui lui est conseiller général du merveilleux mais peu peuplé canton montagnard de Salers; enfin Jean Chanut, RPR, conseiller général très politique et très craint de Pleaux, canton près de la Corrèze et pas éloigné d'Aurillac. 
Tous surveillent leur canton et marquent les rivaux éventuels candidats à ce mandat rural très convoité. 

Georges Pompidou à Mauriac

 En 1972, branle bas de combat. Le Président Pompidou vient à Mauriac après Aurillac. Il a été à St Flour en 1971. Le protocole est lourd, car le voyage est officiel. Les cantaliens vénèrent leur ancien Député, mais ils sont persuadés qu’il n’aime pas son département natal et bizarrement, ils ne lui demandent rien. Un grand malentendu. Formé à l’école Corrézienne, je  suggère au docteur Raynal de demander au Président, deux mois avant la visite, pour le nord Cantal souvent oublié, la création d’un CET à Mauriac et un fort crédit pour un nouveau tracé de la RN 922 qui relie Mauriac à Bort-les-Orgues, vers Clermont. Aucune de ces demandes n’est prioritaire vu de Paris ou de  Clermont, sauf pour Mauriac. Les services régionaux sont opposés. Le Recteur passant à Mauriac un an auparavant et parlant du lycée n’a-t-il pas déclaré en privé qu’il ferait un magnifique musée!  Il y a peu de population. En plus, il n’y a pas de dossier prêt. Pas d’étude préalable. Argument capital et très pratiqué pour justifier un refus. Le Président passe outre. Il impose la décision. Et dire que les élus n’osaient pas lui écrire.

C’est tout le Cantal. Il n’a pas assez de projets travaillés, disposant de peu de services d'étude, trop fermé sur lui-même et il dépense son énergie dans des combats de territoires et surtout d’hommes.  Il arrive que des élus mènent de grandes batailles médiatisées dans la presse locale, pour défendre des causes, réclament des investissements inenvisageables et gaspillent leur crédit. C’est donc le Préfet qui fait les choix raisonnables après avoir dégagé un accord  des grands élus. Il n'y a pas assez d’initiatives d’ordre économique y compris dans le domaine de la transformation de la viande, ce qui est paradoxal. Le bétail quitte sur pied le département au stade du broutard et est engraissé ailleurs, notamment en Italie. Pour le lait, chacun canton défend sa  petite coopérative.  Mauriac n’a pas réussi à implanter comme Riom une unité laitière de bonne taille. Aucun opérateur viande n'existe dans l’arrondissement, ce qui traduit sa faiblesse en hommes d'entreprise.

Voilà le jour de la visite, le dimanche 6 août 1972. Le Président est très fatigué. Il salue à son atterrissage Chauvet d’un «  Bonjour, monsieur le ...  Dé.. Pu.. Té. », très appuyé. Chauvet comprend aussitôt le message. Il doit renoncer à son projet de se présenter au Sénat dans quelques mois pour ne pas ouvrir une élection législative partielle à risque à Aurillac. Il se présentera en 1980, sera battu et sa circonscription basculera dans l'opposition avec l'élection de René Souchon, socialiste habile en politique. 

Dans la salle de l’école maternelle, la mairie fissurée depuis longtemps étant en travaux,  Pompidou évolue, très simple, parlant à mi-voix comme entre vieux amis. Il regarde partout et son regard bleu est insoutenable, comme un rayon laser. Je n’ai jamais vu un tel regard. Il inspirait la crainte. L’homme d’un tel regard ne pouvait pas être un tendre, malgré son air bonhomme.  C'est cet homme aussi qui a  initié le TGV,  Airbus,  l'aménagement du territoire, le premier ministère de  l'environnement,  l'indépendance énergétique, industrialisé la France,  mis le budget en équilibre en 1970, etc. Le chômage est alors très inférieur à un million de personnes, le taux de croissance est de 6 %. Une ère de bonheur!

L’essentiel est qu’il annonce dans son allocution le CET demandé,  futur LP,   et un nouveau tracé rapide de la RN 922, plus court de plusieurs kilomètres, très coûteux dans un relief difficile. Gagné! S’adressant à Chauvet, il lui a dit en préambule, avec sa voix de fumeur de Winston et un sourire malicieux : « Monsieur le Député, tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil », reprenant le titre du film tout récent de Jean Yanne. Il connaissait le style Chauvet, dont tout discours comportait  au moins un hommage personnel: aux gendarmes, aux pompiers, aux maires, aux éleveurs, aux agents de l'équipement, de l'agriculture, les instituteurs ... Des hommages bien reçus. J'en ai tire la leçon pour mes allocutions, plutot que de chercher à briller, ce qui agace tout le monde, il vaut mieux  que le représentant de l' Etat remercie,  félicite et fasse court, ce qui est toujours difficile dès qu'on a pris l'habitude de parler en public. Il n'est pas nécessaire de tout dire sur un sujet. Ecouter est bien mieux.

Jacques Chirac 

 Ce que j’ai appris en Corrèze auprès de Jacques Chirac, a été appliqué dans l’arrondissement. Susciter des projets dans chaque commune après visite sur place et les financer, alors que le Cantal a accès à des crédits hors dotation nationale, a été passionnant. Peu de projets alors, sauf à Mauriac et St Flour. Peu de demandes de crédits. Incompréhensible, le cantalien est prudent et craint la critique, impitoyable en cas d’échec ! En 3 ans et demi de présence, tout l’arrondissement a été en mouvement et a été transformé pour 10 ans en laboratoire de rénovation rurale et en machine à demander des subventions dans toutes les directions, avec lobbying des parlementaires et appel, entendu, à l’Elysée. A cette époque heureuse d’abondance incroyable des crédits d’Etat, ce jeu est facile et gratifiant pour tous ses acteurs. Il suffisait de demander par le bon canal.  Les élus de l'arrondissement ont vite compris.  

Jacques Chirac suit de prés le Cantal pour le Président et appuie les demandes avec son efficacité habituelle. Il est porté par le plan de carrière secret que lui a dessiné le Président Pompidou dès 1971 : aprés le Budget à 36 ans, Ministre du Parlement, Ministre de l'agriculture, Ministre de l’Intérieur, Premier Ministre. Tout sera réalisé. Pompidou avait jugé l’homme qui dispose d'une capacité d'analyse et de décision peu commune et dominera les circonstances et les oppositions de tous ordres . Rien ne l'arrêtera en dépit de pronostics toujours déjoués.
Bien sûr, une telle carrière ministérielle, si rapide, suscitera des jalousies innombrables. Elles n’ont jamais cessé, d’autant plus qu'il a profondément changé et renouvelé le personnel politique. 

Jacques Chirac n’est qu’en apparence facile à comprendre. Il cache ses vraies pensées et même ses collaborateurs ignorent ses plans à long terme. Habile politique, il joue la simplicité, alors que l’homme est au contraire complexe. Il a toujours refusé de se transformer en acteur professionnel, loin d’un naturel qui l’a pourtant souvent desservi. Or la presse veut du spectacle. Elle aime les acteurs et veut qu'on en change souvent, se lassant rapidement des meilleurs.
Déjà, tout jeune, Jacques Chirac a les qualités qui feront sa carrière future : détermination totale, énergie prodigieuse, rapidité, mise en place des moyens pour atteindre un objectif, travailleur infatigable, désir de connaître à fond un sujet, faculté de voir bien plus loin que les autres, intelligence des situations. Intuitif il va droit vers la bonne solution et sait changer de cap et reconnaitre son erreur. Ses collaborateurs savent que s’il formule un souhait, cela veut dire en réalité qu’il faut le faire immédiatement et impérativement. L’échec est mal accepté et vous en êtes débité. Chacun est jugé à son résultat et pas à ses intentions, même s'il a un goût pour les belles présentations, si elles sont courtes toutefois! Dépourvu de cynisme, homme de coeur, il est sincère et souhaite changer les choses bien plus que faire impression, plaire et discourir. Devenir un orateur n’a jamais été le projet de sa vie. Il préfère l’action au verbe, ce qui n’est pas le propre de la politique et explique à mon avis la déception des médias à son égard. 
L'échec ne le rebute pas selon le principe nietzschéen probablement inspiré de Darwin: "tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort". Il attache une grande importance à la connaissance des hommes et les observe constamment, lisant sur les visages. En privé, il aime plaisanter, fait des imitations et adore les jeux de mots et les bonnes histoires. Il est  facile à vivre, bien qu'il n'aime pas perdre son temps.

Certes, tout le monde politique croît dans l'avenir de cet animal politique remarquable qu'est celui que les Corréziens appellent avec admiration et affection, le grand Jacques. Mais personne ne peut pressentir alors que le jeune Ministre sera Président-fondateur du RPR, deux fois Premier Ministre, trois fois Maire de Paris, imbattable avec deux victoires absolues dans 20 arrondissements sur 20 ce qu'on ne reverra plus jamais, et enfin Président de la Répiblique réélu. 

Depuis 1958, Le gaullisme domine l’arrondissement et tout le Cantal. Jacques Chirac est très populaire et son passage à l’Agriculture marquant. Il a fait reconnaître les handicaps des zones de montagne et protégé les agriculteurs. Aussi les deux Députés figureront-ils dans les 43 Députés UDR qui appelleront à voter Giscard d’Estaing, dés le 1er tour en 1974. Ils l’ont fait d’autant plus naturellement qu’ils désapprouvaient la manière Chaban-Delmas et son rôle politique dans la IVe. Peut on rappeler que le Général de Gaulle n’a pas attribué de grand poste ministériel à celui qui passait pour l’un de ses principaux lieutenants. Il n’a jamais envisagé de  nommer Jacques Chaban-Delmas Premier Ministre, même après Pompidou, en 1968. 

    

Chauvet en 1974 me fait un joli cadeau à mon départ pour la Sous-Préfecture de Sedan, ville de 25.000 habitants. Il organise  une grande réception en mairie. Tous les élus de l’arrondissement sont présents et je suis triste de devoir partir. Le séjour de Mauriac va marquer ma vie. Tous les ans, j’y fais un passage, l’été et rencontre Augustin Chauvet, Pierre  Raynal. Plus tard le destin m’y ramènera comme élu sans que je l’aie cherché, en vertu du principe défini par Chateaubriand qu’une vie n’est faite que de circonstances. Le même destin me ramènera aussi auprés de Jacques Chirac à son cabinet de la Ville de Paris, peu de temps aprés avoir été trois ans chef de cabinet d'Alain Peyrefitte Garde des Sceaux.

Grisé par la joie unique et quasi sensuelle qu’apporte l’action, cette drogue, et le pouvoir sur les hommes, si minime soit-il, je ne sais pas alors que la petite gloire du Sous-Préfet est éphémère et j' ignore la règle de l'humilité , que je n'ai comprise que très tardivement. A la retraite, je vois maintenant bien tardivement toutes mes erreurs. Pas de doute le pouvoir, même petit, énivre! On ne se voit pas.
En réalité, tout ce qu’accomplissent les fonctionnaires, Préfet en tête, Sous-préfet, Député, Conseiller général ou Régional, est mis au compte des maires par l’opinion et la presse. Normal, car c’est eux qui prennent les risques politiques et financiers et engagent leur responsabilité, avec une abnégation digne des plus grands éloges. Stoïques, ils supportent la critique de leurs actions. Une critique permanente de tout, qui n’empêche pas en général leur réélection après le 1er mandat, car elle traduit plus la nature humaine et la bataille politique que la réalité. Le plus dur pour eux n’est pas cette critique mais la vindicte dont ils sont souvent l’objet, y compris les meilleurs, parfois sans raison valable, simplement parce qu’ils sont maires. Il parait qu’on s’endurcit. Je n’y crois pas au-delà des apparences. Rien de plus existentiel dans l’homme que l’inquiétude, cet envers du pouvoir. Pangloss avait raison.  Mais comme on le sait, Voltaire n'a guère mis en pratique  sa philosophie. Au contraire il révait comme on le sait du pouvoir!

                                                                                                   

                                               Alain Goldfeil, ancien Sous-préfet de Mauriac ( 1970-1974 )

N.B : Autre essai du même auteur, dans un tout autre domaine, l'Opéra Napolitain du 18ème consultable sur le site www.operanapolitain.com

Carrière d' Alain Goldfeil: 1969, directeur du cabinet du préfet de la Corrèze; fin 1970: sous-préfet de Mauriac; Juillet 1974: sous-préfet de Sedan; 1977, chef de cabinet du ministre de la Recherche; 1978, chef de cabinet du Garde des Sceaux, ministre de la Justice ( Alain Peyrefitte); 1981, détaché à la ville de Paris; 1984, sous-directeur; 1986, directeur, chargé de mission auprès du Maire de Paris ( Jacques Chirac); 1992, directeur général de la ville de Paris.
Fonctions électives: Maire de Mauriac de janvier 1984 à 2001; conseiller régional d' Auvergne de 1992 à 2004. Membre du Comité des Régions de la CEE de 1994 à 1998 et du Comité de Décentralisation ( DATAR ).
Commandeur de l'ordre National du Mérite.